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SLD #6 - L’interview de Tony Aubé

SLD #6 - Tony Aubé, designer @Osmo

En janvier 2018 nous recevions à l’agence Tony Aubé, designer à San Francisco chez OSMO, start-up primée spécialisée dans le jeu éducatif en réalité augmentée.

Publié le 11 janvier 2019

ITW-Tony-Aubé
Tony Aubé Lead Designer chez OSMO à San Fransisco a répondu aux questions de Guillaume et Damien.

En marge de ses participations au salon Inbound Marketing France 2018 et à la soirée conférence du collectif UX Rennes sur les expériences futures, il a accepté de se prêter au jeu de l’entrevue avec nous.

L’occasion pour ce nouvel épisode de parler avec lui d’UX, de design et de ses expériences professionnelles aux États-Unis et au Québec.

Bonne écoute et bonne lecture à tous et à toutes !

Guillaume Genest : Bienvenue dans un nouvel épisode de Salut Les Designers, le podcast design de l’Agence LunaWeb. Aujourd’hui avec Damien, comme d’habitude.

Damien Legendre : Salut Guillaume.

Guillaume Genest : Et avec notre invité du jour, Tony Aubé. Bonjour Tony.

Tony Aubé : Bonjour, merci de l’invitation.

Guillaume : Pas de souci, c’est un plaisir. On va tout simplement commencer directement par la première question qui est l’introduction de l’invité. Est-ce que tu peux te présenter, toi et ton environnement professionnel ?

Tony : Oui, je m’appelle Tony Aubé. Je suis originaire de la ville de Québec, comme vous pouvez l’entendre avec mon accent. Mais dernièrement j’ai déménagé à San Francisco à la Silicon Valley, où je travaille maintenant chez OSMO en tant que designer. Et peut être que je peux expliquer un peu OSMO pour les auditeurs. OSMO, qu’est-ce qu’on fait ? On fait des jeux vidéo de réalité augmentée sur iPad pour enfants. Comment ça fonctionne ? On prends un petit miroir qu’on vient mettre par dessus la caméra et du coup ça redirige la caméra vers la table. Donc l’iPad se tient dans un stand et avec l’intelligence artificielle et la computer vision on reconnaît les actions qui se passent sur la table. Par exemple les enfants peuvent jouer avec des pièces en bois ou en plastique, des pièces de puzzle, des tuiles etc. Et donc à partir de là on doit faire des jeux vidéo qui vont permettre aux enfants d’interagir avec leur iPad, mais aussi avec le monde.

Guillaume Genest : Ok. On a eu la chance d’avoir une petite démo et je pense qu’on peut recommander d’aller voir le site Internet OSMO pour se rendre compte et notamment les vidéos sur YouTube pour avoir une bonne vision de ce que proposent les différents jeux. C’est hyper intéressant. Et du coup toi, à titre personnel dans ton parcours à quel moment tu as commencé à t’intéresser à l’expérience utilisateur, à l’UX ? Est-ce que ça t’est venu dès les études, plutôt quand tu as commencé à bosser…

Tony : J’ai vraiment commencé sur le plan, j’imagine, d’abord artistique. Quand j’étais à l’école primaire, je me rappelle, on avait notre journal de finissants ou on avait tous nos photos et ce qu’on voulait faire plus tard. Et pour moi, à l’époque, c’était déjà clair que je voulais faire et du dessin et de l’ordinateur. J’avais écris, à l’époque, il n’y avait même pas de nom pour ça, ou du moins je ne le connaissais pas, j’ai écrit que je voulais faire du dessin à l’ordinateur. Alors que tous mes amis c’était « oh je veux être astronaute ou joueur de foot ou peu importe… » C’est drôle quand je suis retombé là dessus plus tard, ça m’a fait une surprise. Je n’avais pas réalisé à quel point déjà à cet âge j’étais passionné. Surtout, je me rappelle, je faisais des dessins dans Microsoft Paint. Et je passais mes journées là-dessus.

« "Une bonne expérience ou une mauvaise expérience utilisateur, c'est quelque chose que l'on peut facilement identifier et améliorer" »

Plus tard, au secondaire, j’avais fait de la recherche en cours de sélection de carrière et je voulais aller aussi dans le domaine du jeu vidéo. Donc j’avais regardé un peu ce que ça prenait pour aller dans le jeu vidéo. Et je suis tombé sur le graphisme. Et j’ai pris cette voie là. Je me rappelle, j’étais un peu surpris, un peu déçu de mon choix, parce que ce n’est pas nécessairement ce à quoi je m’attendais. Donc on faisait surtout du design imprimé, des posters, des affiches, etc. Et je ne m’attendais pas à ça du tout. Dans ma tête, moi j’allais faire des jeux vidéo. De même, j’étais surpris, on ne faisait même pas de mathématiques. J’étais très bon en math et je voulais faire des mathématiques. Mais au final après j’ai eu mon premier cours de Web, et c’est vraiment là où j’ai raccroché sur le design. J’ai vraiment énormément aimé et c’est surtout la partie interaction, expérience utilisateur où là on était déjà déjà moins dans l’art plastique. Parce que là je trouvais que c’était trop subjectif, c’était trop des opinions. Et là on tombait beaucoup plus dans le concret. Donc l’expérience utilisateur, c’est quelque chose de concret qui est observable. Et si tu as une bonne expérience ou une mauvaise expérience utilisateur, c’est quelque chose que l’on peut facilement identifier et améliorer. Donc je suis tombé en amour avec le web. J’ai décidé de me spécialiser davantage dans le Web.

J’ai continué les études au bac, à la maîtrise du design d’interactions et j’ai commencé à travailler dans une agence de web qui s’appelle Unik Média à Québec. En même temps que les études. Donc ça c’était très pratique aussi de pouvoir à la fois apprendre sur le design, le design web, le design d’interaction et aussi implémenter directement ce que j’apprenais à l’école, la journée suivante au travail avec de vrais clients, avec de vrais projets et des vrais budgets aussi. Donc ça a été incroyablement intéressant pour moi pour me développer en tant que professionnel. Et du coup après, quand j’ai terminé mes études, on a eu une compétition de design à l’international. Une compétition à chaque année de design et un de nos professeur dans un cours encourageait tous les étudiants à soumettre notre projet scolaire à la compétition. Le projet a été construit de façon à pouvoir fonctionner avec les règles de la compétition. Et cette année là, deux équipes de notre école ont été sélectionnées pour la compétition. On s’est envolé vers Paris et on a présenté. Les deux équipes ont été sélectionnées à la compétition pour les finales avec une quarantaine d’équipes avec quatre finalistes, dont les deux équipes de notre école de l’Université Laval avaient été sélectionnées. Du coup on a gagné la première place et l’autre équipe a gagné la quatrième place. Et ça, ça m’a vraiment permis aussi de m’ouvrir à l’international parce que à la conférence, il y avait beaucoup de sponsors dont notamment Google, Microsoft, Yahoo, etc. Et on est allé parler avec les employés. Ils étaient très ouverts : « si jamais vous cherchez, il y beaucoup d’emplois dans la Silicon Valley » etc. Et du coup ça m’a permis de découvrir qu’il y avait énormément d’opportunités à l’extérieur du Québec. Après, j’ai décidé de déménager en Californie à la Silicon Valley.

Damien : Du coup, maintenant que tu es chez OSMO finalement, comment tu appliques ton métier de designer. Qu’est ce que tu fais exactement parmi tout ce que tu as pu apprendre ?

Tony : Donc OSMO, c’est intéressant, j’ai commencé en fait vraiment comme le premier designer qui avait engagé chez OSMO. J’étais chanceux parce que le patron avait déjà les bonnes connaissances en design, donc il y avait déjà une bonne base d’établie dont notamment le logo, le brand était déjà commencé. Les premiers jeux avaient été désignés, le site web avait été designé. Mais du coup, le patron était complètement débordé. En plus avec toutes les tâches administratives, donc j’ai un peu pris le flambeau au niveau du design. Et depuis que j’ai rejoint l’entreprise, j’ai vraiment fait de tout. J’ai fais autant le site web plus complexe. À la base c’était vraiment seulement une landing page. Juste une page. Donc là on a vraiment construit un site web avec toutes les différentes sections et même une partie e-commerce. Donc on peut acheter le produit sur notre site web. J’ai fait beaucoup de pub, j’ai travaillé beaucoup sur les jeux. J’ai travaillé sur presque tous les jeux qui sont en ligne en ce moment. Et maintenant je commence à me spécialiser un peu plus au niveau du produit.

L’équipe a incroyablement grandit dans les dernières années, donc on est passé de sept employés, à quatre-vingt aujourd’hui. Donc on a beaucoup plus de designers aussi, donc maintenant à des designers qui sont plus spécialisés sur le site Web, d’autres qui sont plus spécialisés pour les publicités, en marketing. On a un photographe aussi, ça ça m’a enlevé un gros fardeau. Je prenais beaucoup les photos avant. Et donc c’est ça maintenant, je me spécialise beaucoup plus au niveau du produit, donc mon day-to-day, c’est vraiment de travailler sur un ou deux jeux et en même temps j’essaie de superviser un peu la direction artistique, le style graphique à travers tous les autres jeux pour être sûr que, par exemple, on a beaucoup de nouveaux designers qui suivent un peu le style OSMO.

Damien : Et en ce qui concerne toute les démarches UX, le test, les interviews, toutes ces choses là, est-ce qu’il y en a que vous appliquez ?

« "En fait, l’UX n’est pas seulement la tâche du designer" »

Tony : Ça c’est un truc que j’aime vraiment bien chez OSMO. On a vraiment toutes les bonnes pratiques selon moi de la Silicon Valley et je trouve au niveau de l’UX, on fait quelque chose de très spécial selon moi. Par où commencer ? En fait, l’UX ce n’est pas seulement la tâche du designer chez OSMO. Tout le monde a vraiment une conscience de l’expérience utilisateur et ça vient des patrons, deux anciens de chez Google. Ils ont une très très forte appréciation pour le design. Et ce sont ces deux là qui avait développé la première version du jeu avec la première version de hardware et déjà là il y avait une très très très bonne attention aux détails et à l’expérience utilisateur. Donc, à partir de là par exemple qu’est ce qu’on fait qui est intéressant ? C’est qu’on fait beaucoup, beaucoup de tests utilisateurs. Donc à chaque semaine, chez OSMO, les jeudis c’est une journée de tests utilisateurs. Et on va avoir plusieurs enfants qui vont venir tester au courant de la journée et ça c’est indépendamment des besoins de l’équipe, donc par exemple, même si moi je travaille, peu importe, sur un projet, si j’ai besoin de tester, je sais que le jeudi, il va y avoir des enfants qui vont venir, et je peux aller tester si je veux une feature ou le produit carrément. Où sinon, les enfants viennent et testent carrément aux jeux qui sont déjà en vente. Et même là, ça permet de recueillir du feedback sur nos produits actuels. Ça c’est très intéressant si on veut pousser davantage la machine, on a des journées de tests préparées. Là on va par exemple, coordonner avec la personne qui est en charge de la logistique et on va demander une journée ou une demi-journée complète de testing. Là, on va avoir plusieurs familles qui vont venir et on va tester un truc plus en particulier. La personne en charge de la psychologie va en faire un rapport détaillé.

« "Le testing, c’est selon moi une des parties les plus importantes du design d’expérience utilisateur" »

On est en communication constante avec l’utilisateur. Surtout, que nous, nos utilisateurs ce sont des enfants et ce ne sont pas nécessairement les utilisateurs les plus faciles pour qui développer. Mais selon moi, en fait, être capable de designer pour des enfants, c’est une expérience incroyable, parce c’est quand même de faire un truc qui fonctionne pour des enfants de 5 ans. Après, faire un truc qui fonctionne pour des adultes, c’est beaucoup plus facile. Ça force à focusser le design sur l’essentiel. Par exemple les enfants ne vont presque jamais lire. Certains sont même trop jeunes pour lire. Donc ça fait des interfaces qui sont complètement intuitives, juste sur le plan graphiques, sur le plan de la hiérarchie du call-to-action. Voilà pour la partie UX Chez OSMO.

Guillaume : OK. Et je me posais une question par rapport à quelque chose que tu as dis lors de ton workshop que tu as fait lors de l’événement Inbound Marketing. C’était par rapport aux personas, quand on parle d’UX en France, il y a un côté très fort sur le persona. Ça fait partie des choses qui sont assez connues et admises en tant qu’outil pour voir nos utilisateurs. Et toi tu as dis, que vous étiez plutôt à voir de vraies personnes et pas à cacher ces personnes derrière des fausses représentations ou un agglomérat de fausses représentations. C’est vrai que c’est un peu à contre courant de ce que nous on peut apprendre en France. Pourquoi cette distinction là ? Est-ce que vous vous-êtes rendu compte que c’était plus efficace comme ça ?

Tony : En fait, ça vient probablement du fait que les deux fondateurs ont une bonne appréciation pour le design bien que pas designers de formation. Donc ils n’ont pas nécessairement eu toutes les techniques que nous on a eu à l’école de design. Et je me rappelle quand j’étais à l’école, on faisait ça souvent des personas. Je trouvais ça utile pour avoir une idée générale de à qui on essaye de s’adresser. Par exemple la tranche d’âge, le genre, peu importe… Mais par exemple chez OSMO, on ferait le profil d’un enfant et on se dirait “pourquoi est-ce qu’on ferait ça ?”. Parce que chez OSMO, les enfants on les rencontre chaque semaine, on vit pratiquement avec les enfants. Du coup, faire un persona ça serait presque comme venir établir un mur entre nous et notre public avec qui on est déjà en direct. Parce que par définition, le persona, en fait c’est un peu une fausse personne. En fait c’est un amalgame de différentes personnes qu’on va rencontrer en entrevues. Mais c’est pas une personne réelle. Selon moi, la meilleure façon de faire du design c’est d’avoir carrément la vraie personne en tête. La personne que l’on connaît bien, qui a des émotions, qui a une histoire, qui a du vécu. Et pour moi, ça fait toute la différence au niveau du design. Pouvoir tester cette personne là et voir ses réactions réelles, c’est plus efficace que d’avoir un simple persona avec une photo qu’on a trouvée sur un site de stock photo. C’est intéressant de travailler chez OSMO pour ça.

Tout le monde fait de l’UX, tout le monde a une certaine appréciation pour le design, mais c’est pas tous des gens qui ont la formation en design. C’est tous des gens qui vont apporter leur propres perspectives, leurs propres opinions sur le design. Et du coup ça fait qu’on a parfois des approches qui sont un peu différentes de ce qui se fait en fait.

Damien : Tu fais la transition un peu tout seul car c’était une de nos questions. Tu parlais des gens qui travaillent avec toi et qui apportent leur pierre à l’édifice. Je ne sais pas si d’ailleurs toi tu es en charge du recrutement, mais à ton avis c’est quoi un bon profil de designer aujourd’hui pour travailler chez OSMO ou même ailleurs ?

Tony : On fait beaucoup de recrutement justement chez OSMO. On a grossi énormément dans les dernières années. Et dans la Silicon Valley, c’est très difficile de recruter car il y a énormément de compétiteurs. On est entouré par Google, Apple, Facebook, Microsoft… toutes les grosses compagnies de la Silicon Valley. Donc c’est très difficile, quand on essaye de faire du recrutement et que l’on trouve quelqu’un qui a vraiment beaucoup de potentiel. On sait déjà qu’il va déjà avoir une dizaine d’offres de compagnies aux alentours.

Selon moi, ce qui est le plus important surtout chez OSMO, parce que à l’époque on était un peu plus une startup, c’est de ne pas être trop spécialisé. C’est important si on veut travailler dans une startup. Donc on va aller chercher quelqu’un qui est très très bon mais qui est aussi très, très généraliste, qui est capable de prendre en charge différentes parties du projet design. Et ça c’est super important quand on est une petite équipe d’une douzaine d’employés. Par exemple, c’est très très rare qu’on ait une personne qui se spécialise juste en UX ou une personne qui se spécialise juste en UI.

« "Selon moi en fait UX et UI, ce sont les deux côtés d’une même médaille" »

Chez OSMO, on grandit de plus en plus, mais on essaie de garder un peu cet esprit de startup la, de polyvalence, de motivation. Donc quand on se voit en entrevue, un des gros trucs sur le plan du design c’est quelqu’un qui va me dire, “moi je fais juste de l’UX” ou “moi je fais juste de l’UI”. Selon moi en fait UX et UI, ce sont les deux côtés d’une même médaille. Il y a tellement d’influence entre l’interface utilisateur et l’expérience utilisateur, que de séparer cette tâche là en deux dans la plupart des cas, je trouve que c’est une mauvaise idée. Peut-être que ça peut se faire chez Google par exemple ou c’est tellement gros et tellement spécialisé qu’on va avoir une personne qui focus juste sur le UI des icônes, pour que ça soit pixel-perfect sur des centaines et centaines de devices. Donc, peut-être que là on peut aller chercher plus de spécialité. Mais dans une compagnie d’une centaine d’employées ou une startup c’est très important d’être polyvalent. Par exemple, chez nous, tous les designers font l’UX et l’UI et ont même d’autres capacités. On a des designers qui vont faire plus d’animations ou des personnages, de la photographie, de la vidéo… Et en même temps je trouve ça super intéressant pour un designer d’être capable de faire plus que de l’interface. Le travail est moins monotone. Ça permet d’apprendre ces autres parties de la création. Ça vient influencer le design et rajouter un accent à son design. Pour donner un exemple, quand j’ai rejoint OSMO, j’avais fais des cours de photographie à l’école auparavant et je détestait complètement. Ça avait complètement détruit ma moyenne. J’avais des super bonnes notes dans tous les domaines et là dans le cours de photos, j’avais peut-être un 60 ou un 70 alors que les autres avaient quasiment  tous un 100%. Je ne voulais plus jamais faire de photo. Et au final quand j’ai rejoint OSMO, mon patron m’avait demandé si j’aimais la photo. J’avais dit, “pas vraiment”. Et il m’a dit “bah on a pas le choix d’en faire, car il va nous falloir des photos pour le site, ou par exemple le lancement de produit que l’on va donner à la presse, etc.”. Et mon patron qui est un peu un génie, qui fait vraiment de tout, à la base c’est un ingénieur, mais qui a fait tout le branding de OSMO et qui s’y connaît aussi très bien en photographie. Donc on a acheté tout un kit de photographie avec des lumières pour le studio, une caméra, etc. Du coup on s’est mis à la photographie et je trouve que je me suis beaucoup amélioré en tant que photographe. Et maintenant j’ai une très très grande appréciation pour la photographie. Souvent, quand on lance un nouveau produit, je vais faire une partie des photos pour mettre sur le site et envoyer à la presse.

Damien : Ça t’a permis de t’y confronter différemment aussi peut-être. Peut-être que la méthode à l’école ne te convenait pas tout à fait ?

Tony : Ouais, j’imagine que la méthode à l’école était peut-être “too much”. Moi, je voulais vraiment focuser sur le web, je ne voyais pas vraiment l’intérêt de faire de la photographie. Mais une fois que j’ai travaillé chez OSMO c’est devenu une nécessité, sinon on a pas de photo pour notre produit. Donc la nécessité mène bien des choses. Donc le fait d’être obligé de le faire et si je veux bien le faire, je ne veux pas faire de mauvaises photos, alors ça force à se développer. C’est super amusant de faire de la photo finalement.

Damien : Tu disais tout à l’heure que du coup ça n’était pas forcément évident dans la Silicon Valley de recruter des gens. Du coup j’imagine que quand vous arrivez à recruter de bons profils, vous faites en sorte de les garder. Qui dit les garder, dit, qu’il faut continuer à prendre du plaisir dans l’entreprise et s’améliorer. Et justement pour l’amélioration des collègues, comment est-ce que vous faites ça dans l’entreprise et surtout est-ce que vous avez des méthodes que vous appliquez pour que les gens continuent à s’améliorer et aussi à prendre du plaisir ?

Tony : Ouais, ça on ne le fais pas vraiment suffisamment selon moi. On a essayé récemment un programme de mentorat ou par exemple, les gens pouvaient choisir, une habileté qu’ils souhaitaient développer. Après cela les gens allaient trouver quelqu’un d’autre qui avait cette habileté là dans l’équipe. Et donc il y avait un espèce de partenariat qui était fait entre un mentor et un apprenti. Ça a fonctionné pendant peut-être un mois. Finalement ça n’a pas trop pris car les gens sont trop occupés de toute façon. Ça c’est une question sur laquelle on se penche en ce moment chez OSMO. Comment permettre aux gens de se développer. Je trouve que naturellement l’environnement de chez OSMO force le développement, de part mon exemple avec la photographie. Il y a beaucoup d’autres exemples comme ça. J’aime bien en fait que l’équipe, les patrons mettent beaucoup de confiance dans les employés et qu’ils n’aient pas peur de prendre des risques, de faire faire des nouvelles choses aux employés. On va prendre des risques, on va dire “bon bah travailles là-dessus, je sais que tu n’a jamais fait ça auparavant, mais c’est pas grave si ça te tente, on va se reprendre.”. Et déjà ça ça permet beaucoup le développement.

Personnellement, ce que je recommande le plus c’est la lecture, même pour les designers. Une des questions que je pose le plus en entrevue, c’est “c’est quoi le livre que tu me recommande en design ou même en dehors du design”. Si j’ai pas de réponse ça sera un point très négatif pour l’entrevue. Même en design, c’est pas obligé d’être des livres, ça peut être des blogs, ou juste sur Medium il y a pas mal de trucs qui s’écrivent sur le plan du design. Que ce soit le design visuel, le UI, UX, peu importe. Il y a énormément de livres qui sont très intéressants. De ne pas s’ouvrir à ça en fait, je trouve que c’est un peu se tirer dans le pied. On a beau faire du design, être assis à l’écran, et travailler, travailler, travailler, c’est important aussi de s’ouvrir aux opinions des autres et aux expériences des autres.

Guillaume : Ça veut dire que dans ta semaine tu te donnes le temps de lire beaucoup ?

Tony : Ouais. J’habite à San Fransisco et je travaille à Palo Alto, donc j’ai une ride de train d’environ 1 heure le matin et 1 heure le soir. Beaucoup de gens me disent, “la vache 1 heure, c’est incroyable, comment tu fais ?”. Mais pour moi en fait, j’adore. Si je devais changer de travail et travailler plus près de la maison, j’aurai l’impression de perdre quelque chose de vraiment très bien, le fait d’avoir 2 heures pour moi tout seul chaque jour. Soit je m’informe sur les nouvelles technologies, ou je m’informe sur les nouvelles idées en design, peu importe. Et le soir je prends un peu de temps pour écrire moi-même, mes propres idées sur le futur du design. En fait, mettre mes idées sur papier, je trouve que c’est un truc très très utile et intéressant à faire. Souvent on a beaucoup d’idées dans la tête, mais le fait de se forcer à les mettre sur papier, ça nous permet de réfléchir de façon incroyablement plus efficace et de se confronter à nos idées et les challenger. C’est ce qui m’a permis de commencer à être publié dans certains médias. Par exemple j’ai écris pour TechCrunchVenture Beat et récemment pour The Next Web. Une fois que l’on commence à écrire nos idées, pourquoi pas les envoyer pour les partager ? C’est quelque chose que je recommanderai pour les designers et en fait pour tout le monde, justement lire et écrire le plus possible.

Guillaume : Ok. Parmis les gens qui nous écoutent, il y a beaucoup de professionnels qui veulent potentiellement commencer à adopter des méthodologies de design d’expérience utilisateur. Est-ce que pour ces profils peut-être un peu débutant ou qui voudraient mettre en place des choses, tu aurais des méthodes, ou des choses à recommander assez facilement appréhendables pour commencer à s’y mettre ? On parlait tout à l’heure des tests par exemple. Au workshop tu nous a présenté toute une série d’étapes pour construire un peu son idée.

Tony : Ouais. Donc, je présentais au workshop il y a deux jours, les grandes étapes du processus de design. Toutes ces étapes là sont importantes. La première étape c’est de développer de l’empathie pour l’utilisateur. Rencontrer l’utilisateur, discuter avec… C’est aussi très très important selon moi de bien décider le problème sur lequel on veut travailler. Et ça c’est quelque chose que j’ai appris à l’école. Je me rappelle qu’on avait beaucoup de projets étudiants d’une durée d’environ un mois. Et les gens souvent la première semaine se lançait dans leur idée et travaillaient très très très fort tout le long du mois pour arriver à un résultat. Et moi, ce que je faisais, c’est que je prenais la première voir même la deuxième semaine à juste réfléchir à l’idée sur laquelle je voulais travailler. Et souvent j’avais même peut-être trois idées sur lesquelles je travaillais en même temps. Et du coup en fait sur le moment c’est incroyablement difficile de choisir l’idée, mais après avoir travaillé peut-être deux semaines à réfléchir, je choisissais une idée. Et là j’avais peut-être seulement deux semaines pour finir mon projet, donc c’était le gros rush. Et au final, peut-être que je ne pouvais pas autant peaufiner les petits détails et le projet final, mais le fait d’avoir passé autant de temps à réfléchir au problème auquel je souhaitais m’attaquer, bah ça faisait que mes projets étaient tout le temps très très bons à la fin, parce qu’il frappaient directement sur les clous des problèmes à régler. Donc selon moi, bien définir le problème, c’est probablement l’étape la plus importante du processus de design. Et comme je le disais, on a beau avoir une équipe de designers “all-stars” les meilleurs du monde, si les designers travaillent sur le mauvais projet, c’est perdu d’avance.

Guillaume : C’est vrai que commencer par là c’est important parce que c’est le début. Comme tu le dit, c’est hyper important de ne pas se tromper d’objectif et de vraiment se dire “est-ce que ce que je vais faire va vraiment être utile ?”. On va conclure avec la dernière question.

Damien : En fait, moi j’en rajouterai peut-être une autre mais qu’on verra après.

Guillaume : Vas-y je t’en prie.

Damien Legendre : Déjà on va te poser celle qui était initialement la dernière, qui fait complètement écho à ce que tu a pu dire à l’UX Deiz et que à ce que tu nous confiait écrire quand tu avais du temps sur le futur du design. Et donc du coup, c’est quoi pour toi le futur du design, le futur de l’UX, de l’UI ?

Tony : Ouais, donc ça c’est vraiment une question sur laquelle je réfléchi beaucoup justement quand j’écris dans le train. C’est une question qui est très importante à se poser en tant que designer aussi, parce que le domaine du design change incroyablement rapidement. Je pense que ça va changer énormément dans les prochaines années. On voit beaucoup les nouvelles technologies, par exemple, l’intelligence artificielle, la réalité augmentée, la réalité virtuelle qui vont avoir un impact très très fort sur le design. Par exemple, l’intelligence artificielle, les outils vont selon moi devenir incroyablement plus accessibles à tout le monde. Un peu comme auparavant avec Photoshop, c’était super complexe de faire un détourage sur une photo. Maintenant avec les outils “baguette magique” et “masquage” ça se fait de façon super facile et n’importe qui est capable de faire un détourage avec 5 minutes de formation sur Photoshop.

Je pense que ça va continuer de devenir plus accessible avec les nouvelles technologies d’intelligence artificielle. Par exemple, Adobe avec leur projet Sensei. Ils ont lancé toute une nouvelle série de features qui permettent de faire un remplacement de ciel dans une photo en seulement un clic. Ou encore en seulement un clic on peut refaire la colorimétrie d’une série de photos, pour fonctionner avec une palette de couleur. Donc il y a des tonnes et des tonnes d’exemples de fonctionnalités qui s’en viennent, qui vont faire que n’importe qui va pouvoir faire du design de qualité. Ce que ça va faire, c’est que beaucoup de gens vont pouvoir commencer à s’intéresser davantage au design.

On voit aussi par exemple des nouvelles startups qui proposent par exemple de concevoir un logo en utilisant l’intelligence artificielle. Les résultats sont peut-être pas les plus intéressants pour l’instant, mais ça s’améliore tranquillement. Et ça permet aux gens de voir des tonnes et des tonnes d’itérations et de pouvoir plus facilement sélectionner une piste à suivre au niveau du design final. Avec la réalité augmentée et la réalité virtuelle, selon moi le design va aller au-delà du design d’interface écran. Et c’est un peu ce qu’on fait chez OSMO. Par exemple, moi quand je travaille sur une interface écran, mon objectif c’est qu’il soit pas trop utilisé, car le focus quand on joue avec OSMO, c’est qu’on joue sur la table  avec les pièces réelles. De plus en plus, grâce à l’intelligence artificielle on est capable de faire ce genre d’interactions. Le design va aller vers les interactions plus physiques avec de vrais objets ou carrément dans un monde virtuel ou la, il faut repenser l’interface graphique; Ce n’est plus des menus, des trucs en 2D. Ça devient des truc plus tangibles en 3D. Je trouve que le domaine des jeux vidéos fait des trucs incroyablement intelligents. On voit par exemple des jeux vidéos ou pour sortir d’une expérience on enlève comme un casque virtuel. Ou un autre jeu encore, pour sortir du jeu on doit manger un burrito. Les éléments d’un menu, les éléments d’interface qui deviennent des objets réels. Et là tout ce qui est métaphore, qu’on utilisait auparavant avec les menus, tout ça c’est à refaire dans le monde virtuel. Tout ça pour dire que c’est incroyablement intéressant.

« "Toutes les nouvelles technologies viennent challenger tout ce qu’on a appris et ce qu’on a acquis en tant que designer" »

Pour les gens qui se lancent dans le design justement, si vous voulez travailler sur les trucs les plus intéressants selon moi, c’est travailler sur toutes ces technologies là où il n’y a pas encore vraiment de normes, de designs qui sont établies. Alors du coup on a la possibilité d’établir nos propres normes, nos propres recherches. C’est vraiment de la créativité à 100%.

Damien : Et donc du coup, dernière question avant de finir, tu nous disais que pour tes recrutement tu demandais à tes candidats quelle étant leur meilleure lecture. Et du coup est-ce que tu as une meilleure lecture à nous confier ?

Tony : Ah, j’en ai plusieurs ! Les principales sont selon moi surtout pour ceux qui se lancent dans le design. C’est très très important de lire Don Norman, The psychology of everyday things. Tous ces livres sont incroyables. Il y a aussi The Design of Future Things qui est super intéressant. Je recommande aussi, j’ai pas le nom des auteurs en tête, mais il y a un livre qui s’appelle 100 Things Every Designer Needs to Know About People, ça c’est un petit livre peut-être d’une centaine de pages, ça se lit en une heure ou deux. C’est tous les principes psychologiques qui sont très très importants d’internaliser en tant que designer. Le fait de bien comprendre la psychologie humaine, je trouve que c’est un truc vraiment important en terme de design d’expérience utilisateur. Je pourrais continuer toute la journée… J’aime beaucoup les livres de Jason Fried et de l’équipe de Basecamp. Ils ont fait ReworkRemote, etc. Donc eux, ils ont vraiment une opinion très très tranchée de la façon dont on travaille en équipe et je trouve que ces livres sont excellents et que tout le monde devrait les lire.

Sur Medium, il y a aussi incroyablement de gens supers talentueux qui ont des opinions super intéressantes, dont énormément d’articles de design qu’on pourra trouver sur Medium. Et je vais m’arrêter là, sinon je n’ai pas fini.

Damien : Et bien c’est tout pour nous et c’est déjà pas mal. Merci de nous avoir accordé un peu de temps pour répondre à ces questions. C’était assez intéressant et ça complète encore l’étendue des profils qu’on a pu voir dans Salut Les designers. C’est encore un nouveau profil. Donc merci.

Guillaume : Effectivement, merci Tony. Et nous on se retrouve dans un prochain numéro de Salut Les designers. On va trouver encore plein de gens hyper intéressants à interviewer car c’est vraiment cool de le faire. merci et au revoir.